« Pour un démissionnaire, il est très vivant »: Pourquoi Macron ne peut pas virer Darmanin
Le ministre de l'Intérieur devrait rester en poste, malgré son échec retentissant avec le rejet de la loi immigration à l'Assemblée. Analyse.
Photo: Gérald Darmanin sur France Info, le 3 octobre 2023.
« Ils sont tous nuls », enrage Emmanuel Macron. Le président cherche des coupables après le rejet retentissant de sa loi immigration à l’Assemblée lundi 11 décembre. Le patron des députés Renaissance Sylvain Maillard et le ministre aux relations au Parlement Franck Riester sont pointés du doigt en particulier. Le premier pour ne pas avoir « su mobiliser ses troupes », neuf députés ont manqué le vote le jour J, dont l’un, élu en Seine-Maritime n’a même pas daigné répondre au téléphone. Le second est jugé carrément « nul ». A l’Élysée, l’ambiance aussi est à l’orage, le président en veut à ses proches conseillers pour ne pas avoir vu venir l’échec. Curieusement, Gérald Darmanin, le principal protagoniste du fiasco, est épargné par le chef de l’État.
« Manu ne calcule absolument plus Babou, c’est la cour de récré »
Ce n’est pas le cas à l’Assemblée où les appels à sa démission ont retenti dès les résultats du vote annoncés par Yaël Braun-Pivet. « Darmanin démission », scandent les députés de gauche comme de droite et d’extrême-droite. Le ministre de l’Intérieur semble sonné, même s’il esquisse un sourire crispé. Soutenu par quelques députés de la majorité, il quitte le Palais Bourbon pour remettre sa démission au… président, qui la refuse. L’épisode fait jaser. En droit, le ministre aurait dû s’entretenir avec la cheffe de gouvernement, Élisabeth Borne et pas avec le président. Les constitutionnalistes, convoqués par la presse, s’affrontent. « C’est le Premier ministre qui propose la démission d’un ministre au président », reconnaît pourtant Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille auprès du Parisien.
Pourquoi Gérald Darmanin a-t-il filé à l’Élysée dans ce cas? « C’est du cinéma, s’amuse un ancien conseiller du président. Macron ne peut pas se passer de son ministre de l’Intérieur et Darmanin le sait ». Quid de la Première ministre? « Manu ne calcule absolument plus Babou, c’est la cour de récré », souffle ma source. Les relations entre l’Élysée et Matignon sont passées de la « politesse glaciale à l’indifférence », renchérit un conseiller en place. Le locataire de la place Beauvau ressort du château avec le soutien du président, comme je vous le racontais dans Politis. Le lendemain, le ministre est debout aux aurores et fonce dans un commissariat à Maisons-Alfort. « Vous le trouvez abattu?, il est combattif, c’est un Warrior », se félicite l’un de ses proches.
De fait, Gérald Darmanin est partout. Au JT de TF1 dès lundi soir, sur Cnews face à Sonia Mabrouk mercredi, sur RTL ce jeudi 14 novembre. « Quand on tombe de cheval, il faut tout de suite se remettre en selle », vante son entourage. C’est en vain que les oppositions réclament sa démission. « Désavoué », Gérald Darmanin, comme l’affirment Olivier Faure et Marine Le Pen? « Pour un démissionnaire, il est très vivant », s’amuse un député Renaissance qui le soutient. Au grand dam de la Première ministre. Lors de la réunion hebdomadaire des députés Renaissance pour déterminer « les lignes rouges » sur la loi immigration mercredi soir, le nom de Gérald Darmanin n’a pas été cité par Élisabeth Borne, comme l’ont noté les participants.
« Le jeter hors du gouvernement, c’est le jeter dans les bras d’Édouard Philippe »
Qui pour le remplacer? Le nom de Frédéric Péchenard circule bien depuis quelques mois, cet ancien homme lige de Nicolas Sarkozy désormais conseiller de Paris (LR) a le profil idéal mais c’est un ancien commissaire divisionnaire. « On ne nomme pas un flic ministre de l’Intérieur », rappelle un bon connaisseur de la maison poulaga. D’autant que Gérald Darmanin suscite l’adhésion des troupes: « Le courant passe bien en interne, il sait soigner ses relations et comprend nos besoins », confirme un syndicaliste. Le poste est ultra-sensible. On change difficilement du jour au lendemain le « premier flic de France », à la tête de plus de 300.000 fonctionnaires dont les services de Renseignements, l’une des clefs du pouvoir. « Emmanuel Macron a deux échéances à six mois: Notre-Dame de Paris et les Jeux Olympiques de Paris », observe un conseiller de l’exécutif. Le ministre de l’Intérieur se sait irremplaçable… à moyenne échéance, en tous cas. Et ce, en dépit de vilaines accusations de corruption par des députés de gauche, qui l’accusent d’avoir acheté des votes pour faire passer le projet de loi immigration.
Or, les relations de Gérald Darmanin avec Anne Hidalgo sont « bonnes », reconnaît un proche de la maire de Paris. Les deux se voient une fois par semaines avec le préfet de Paris pour faire le point sur l’avancée des chantiers à six mois des JO. Voilà sur le plan logistique. Et politiquement? « Le jeter hors du gouvernement, c’est le jeter dans les bras d’Édouard Philippe immédiatement, ce serait la fin du quinquennat », observe un ancien conseiller du président. Autre échéance politique et pas des moindres, la protection de l’IVG et la réforme électorale en la Nouvelle-Calédonie, qui nécessitent une réforme de la Constitution, donc un accord entre députés et sénateurs. « Il n’y aura pas de deal, il est trop faible », prédit un bon connaisseur des Outre-Mer, malgré les assurances du ministre après sa dernière visite sur le caillou. « La droite pourrait le faire chier en exigeant la réforme calédonienne pour voter l’IVG et la gauche en refusant de voter sur l’IVG si cette réforme électorale passe », imagine cette même source. Un scénario très théorique pour l’instant mais qui pourrait donner des sueurs froides à Beauvau. En attendant, l’ambitieux ministre place ses pions: n’a-t-il pas reconnu qu'Édouard Philippe est aujourd'hui le « mieux placé » pour battre Marine Le Pen, dans une interview au média Brut la veille du rejet de son projet de loi? « On a tous compris que c’était un message au président », soupire un conseiller de l’exécutif, pas fan du bouillant ministre. Gérald Darmanin ressort paradoxalement affaibli de la séquence mais conforté. Pas de doute, le message est passé. Le président est prisonnier de son calendrier.